Consensus
Le consensus mou
En cette période de l’année, nous commémorons la naissance d’un héros révolutionnaire dont la pensée et les actes nous influencent tous, qu’on s’en déclare adepte ou non. Che Guevara? Marx? Lénine? Celui auquel je fais allusion a non seulement révolutionné la société dans laquelle il vivait, mais son influence s’est répandue sur les cinq continents et la philosophie dont il s’est fait porteur imprègne encore notre tissu social deux mille ans après qu’il soit mort. Qu’on soit croyant ou non, notre monde, nos traditions, nos coutumes puisent à la source judéo-chrétienne dont il s’est à la fois affranchi tout en la recréant.
Depuis l’invention de l’écriture, il y a 5300 ans, combien d’hommes et de femmes ont eu le courage, l’audace, voire l’opportunité de radicalement changer notre façon de voir le monde. Passer de « œil pour œil, dent pour dent » à « tends la joue gauche »! Passer de la génération spontanée à la pasteurisation et à la vaccination! Passer de la prière aux antibiotiques! Passer de la lieue, distance qu’un homme pouvait marcher en une heure, aux années-lumière!
Étymologiquement, la révolution est le retour au point de départ. Mais par un de ces détours linguistiques savoureux, un révolutionnaire est justement celui qui nous invite à cesser de tourner en rond pour faire un bond de côté. Mais où sont passés aujourd’hui ces hommes et ces femmes capables de nous faire sortir de notre zone de confort? Est-ce qu’il y a encore place, dans notre société, pour des révolutions? Qu’elles soient marxiste-léniniste, sexuelle ou pédagogique, les révolutions n’ont plus la cote … mais nous reste-t-il au moins le goût du débat? le vrai débat d’idées où, dans le respect de l’adversaire, on ose affirmer, argumenter, soutenir ses différences d’opinions, de choix, de valeurs?
Alors que nous nous apprêtons à compléter la première décennie du troisième millénaire, je me demande si nos sociétés ne sont pas devenues imperméables au changement. Ou si, justement, à force de « gérer » le changement nous n’en sommes pas venus à le lisser, comme pour nous le rendre plus lénifiant. Est-ce que nos sociétés sont encore capables de créer des changements de fond ou nous sommes-nous limités à la forme? Est-ce que, par notre recherche du consensus à tout prix, nécessairement indolent, nous nous interdisons d’aborder les questions essentielles?
Que se passe-t-il lorsque des questions vitales font l’objet d’un débat nourri auquel participent véritablement, sans barrières, tous ceux qui y ont un intérêt? Un débat qu’on n’aurait pas pu empêcher, qu’on aurait pas pu tuer dans l’œuf … un débat qu’il faut encadrer! Qu’on pense par exemple à la question des accommodements raisonnables. Un débat riche et passionnant avait cours et au lieu de participer, d’écouter, d’apprendre … on qualifie le tout de psychodrame. Deux hommes intelligents proposent une synthèse honnête de ces débats, formulent des recommandations, … qu’on s’empresse d’oublier, de mettre de côté, … Je mentionne cet exemple, mais il y en aurait tant d’autres!
Après chaque élection, on trouve un rabat-joie pour nous rappeler que voter, ça coûte cher! Et en même temps, j’entends qu’on voudrait des élections plus intéressantes, des candidats plus divers, des positions plus tranchées … Mais en même temps, on ne veut pas de chicanes … Comme si on confondait débat et conflit et que cette confusion nous avait amené à ériger des mécanismes d’absorption des chocs. Sous couvert de respect de l’autre, est-ce que nous n’en sommes pas venus à vivre une société où tout se vaut … et où rien n’a plus de valeur?
Ce consensus mou dans lequel nous baignons rend toute révolution précisément impossible, puisque celle-ci a besoin de résistance. Un révolutionnaire lutte pour prendre sa place et lutte nécessairement contre. Mais dans notre société, quel espace un révolutionnaire peut-il créer, lui qu’on ne manquerait pas d’inviter à Tout le monde en parle?
novembre 2009