Peur ou honte
Peur ou honte?
Dans sa chronique d'aujourd'hui, Yves Boisvert écrit au sujet du recentrage du droit criminel.
Au-delà du mouvement de balancier qui nous fait connaître des époques plus "libérales" et d'autres plus "conservatrices", j'observe pour ma part deux phénomènes qui me troublent profondément.
Premièrement, j'ai l'impression de voir de plus en plus de situations où les policiers ont mal fait leur travail, ont tourné les coins ronds en faisant fi de la présomption d'innocence. En accordant à l'État le monopole de l'usage de la force, notre société a aussi exigé que l'État respecte les plus hauts standards ... et j'ai l'impression que chaque jour ces standards diminuent!
Je pense par exemple à l'utilisation du mot "présumé" dans nos médias: "Le présumé incendiaire de Vanier accusé", "Un présumé proxénète de 25 ans appartenant aux Crips a comparu au palais de justice d'Ottawa", "Présumé trafiquant arrêté à Roberval", ... Dans notre système, la seule présomption qui existe est la présomption d'innocence! Un "présumé trafiquant", ça n'existe pas ... soit il est suspect de trafic, soit il est accusé de trafic, soit il a été reconnu coupable de trafic.
Je vois dans ces glissements de sens, une érosion importante du principe de la présomption d'innocence. En fait, les journalistes agissent un peu comme nos policiers: "On le sait qu'il est coupable ... reste juste à le prouver".
Le second phénomène que j'observe et qui me trouble a trait à l'attitude des procureurs de la Couronne. Comme l'ont clairement répété les tribunaux à plusieurs reprises (voir notamment Lemay v. The King, [1952] 1 S.C.R. 232, où la Cour suprême mentionne le devoir de la Couronne : "to bring forward evidence of every material fact known to the prosecution whether favourable to the accused or otherwise"), leur rôle n'est pas de gagner, ni d'obtenir de condamnations à tout prix, mais de participer à l'émergence de la vérité (voir Boucher v. The Queen, [1955] S.C.R. 16 : "It cannot be over-emphasized that the purpose of a criminal prosecution is not to obtain a conviction, it is to lay before a jury what the Crown considers to be credible evidence relevant to what is alleged to be a crime". Sauf que depuis quelque temps, on a l'impression que nos procureurs sont mis sous pression pour faire du chiffre! obtenir des comdamnations ... à tout prix!
Le meilleur exemple récent nous vient de la décision de la Cour supérieure dans l'affaire Tshiamala (maintenant en appel). La juge Bourque y écrit clairement: "La Poursuite a utilisé devant le jury une preuve fortement préjudiciable contre les accusés alors qu'elle a en sa possession des éléments factuels la contredisant ou, à tout le moins, qui en affectent considérablement la valeur probante" (para. 122). Dans ce procès "la Poursuite admet avoir irrémédiablement porté atteinte à l'équité des procédures" (para. 131); la poursuite admet aussi avoir menti au Tribunal afin d'obtenir une remise pour que les policiers puissent continuer leur opération d'infiltration (para. 176). Au final, la poursuite a trompé le tribunal et la défense: "ces obligations sont bafouées par le comportement du procureur de la Poursuite qui viole les règles du franc-jeu et de la décence nécessaire au déroulement de procédures équitables. Tant le Tribunal que la partie adverse ont été trompés et ont pris une décision sur la foi de fausses représentations." (para. 184)
Ce type de comportement de la part de la poursuite a-t-il été approuvé aux plus hauts échelons du directeur des Poursuites criminelles et pénales? Les déclarations du directeur au lendemain de la décision de la Cour supérieure, soutenant son équipe de procureurs, tendent à faire croire que les "tromperies" de la poursuite avaient l'aval de la haute direction. Comme si le mot d'ordre était : "Fais-les condamner, si tu ne sais pas pourquoi, eux le savent"!
Cette nouvelle société qui se dessine, me fait peur ... mais surtout me fait honte!
mars 2010