Jovialisme
Jovialisme
Aujourd'hui Le Devoir publie un article de la Presse Canadienne qui essaie de nous démontrer que le problème d'accessibilité aux médecins n'en est pas vraiment un ... ou à tout le moins que ce problème est près d'être enrayé.
L'Institut canadien d'information sur la santé, dans un communiqué de presse publié hier, nous informe que, de 2004 à 2008, le nombre de médecins généralistes et spécialistes au Canada a augmenté de 8% alors que la population canadienne n'a augmenté que de 4,3%. L'Institut nous précise aussi que le nombre d'inscriptions dans les facultés de médecine augmente. La conclusion qui est laissée aux lecteurs est évidente: pas de panique! Vous n'arrivez pas à trouver un médecin de famille? Aucun médecin ne veut faire votre suivi de grossesse? Ça va aller mieux dans quelques années.
Il est intéressant de nous rapporter que le nombre de médecins augmente plus rapidement que la population, il aurait été encore plus intéressant de comparer le nombre de médecins ici et ailleurs. Car tous ceux qui ont besoin d'un médecin "sentent" qu'il y a un problème, qu'il n'y en a pas assez. Leur nombre augmente, c'est très bien ... mais combien de médecins en plus nous faut-il? Au Québec, nous aurions près de 22 médecins par 10 000 habitants. Il suffit de consulter la base de données de données de l'OMS pour comprendre que notre densité de médecins (généralistes et spécialistes) est très moyenne!
Sur 193 pays pour lesquels l'OMS possède des données, 58 pays ont une densité de médecins supérieure à celle du Québec. Tous les pays que l'OMS associe à la zone Europe, à l'exception des plus pauvres (Montenegro, Pologne, Serbie, Tadjikistan, Roumanie, Turquie, Bosnie-Herzegovine, Albanie), réussissent à offrir à leurs citoyens un nombre de médecins nettement supérieur à ce qui est disponible au Québec. Si on excepte Saint-Marin (474 médecins par 10 000 habitants, soit 21 fois plus qu'au Québec!), la moyenne européenne est près de deux fois supérieure à celle du Québec (40 médecins par 10 000 habitants).
Par ailleurs, il est hallucinant de constater que des pays comme la Mongolie, l'Égypte, le Liban, la Jordanie et l'Argentine mettent plus de médecins à disposition de leurs citoyens. Quant à notre voisin du Sud, il n'y aurait que 26 médecins par 10 000 habitants. Mais comme une très grande partie de la population est de facto exclue du système de santé, le nombre de médecins par 10 000 habitants qui sont effectivement en mesure de pouvoir y avoir accès devrait sans doute être augmenté d'au moins 30%.
Présentée sans ces données comparatives, cette dépêche de la Presse canadienne tient plus de la propagande que du véritable journalisme. La Presse canadienne rapporte le communiqué de presse, fidèlement, sans se poser de question, probablement sans même prendre connaissance de l'étude de l'ICIS à laquelle fait référence le communiqué de presse. Le Devoir, quant à lui, publie la dépêche, sans aucun travail critique, probablement même sans aller consulter le communiqué de presse!
Si un minimum de travail journalistique avait été fait par le Presse canadienne et Le Devoir, ils auraient peut-être décidé de mettre en parallèle l'augmentation du nombre de médecin avec l'augmentation de leur rémunération. En 2007-2008, le salaire moyen des médecins au Canada a été de 266 000$, une hausse de 4,6% par rapport à l'année précédente ... alors que l'indice des prix à la consommation pour cette période n'a augmenté que de 2% et que les frais de santé au Canada ont augmenté, eux, de 8%!
Conclusion: il y a un peu plus de médecins (bravo!), mais on est toujours très loin d'en avoir assez pour combler dignement les besoins, et ces messieurs-dames de la Faculté nous coûte de plus en plus cher!!!
2009
Jovialisme (bis)
Le Devoir et le Collège des médecins se réjouissent aujourd'hui que le Québec compte 420 médecins de plus cette année comparativement à l'an dernier.
Si c'est une excellente nouvelle, elle doit être mise en perspective! Il y a environ 20 000 médecins au Québec, dont environ 10 000 médecins de famille (omnipraticiens). 420 médecins de plus, ne représentent que 2% d'augmentation. Dans le même temps (2008-2009), la population du Québec a augmenté de 1%. Le gain net n'est donc plus que de 1%. Si plus de la moitié de ces 420 médecins choisissent une spécialisation autre que la médecine familiale, le gain net pour celles et ceux qui ont besoin de consulter un médecin de famille sera quasi nul.
Mais il est de bon ton de se réjouir, d'être jovial et positif!
Sauf qu'à 22 médecins par 10 000 habitants (voir blog précédent: Jovialisme d'État) nous sommes déjà derrière la Mongolie, l'Argentine et tous les pays d'Europe. L'attente moyenne dans les urgences serait de 17,5 heures! À un rythme d'augmentation de 1% par année, il nous faudrait attendre plus de 69 ans pour que le nombre de médecins par habitants double et atteigne des niveaux semblables à ceux de l'Europe! Certes, quand le nombre de médecins aura doublé, lois du marché oblige, leur salaire moyen ne sera plus de 266'000$ par année.
Et si les Québécois et les Québécoises ne souhaitent pas attendre 69 ans pour avoir un accès normal aux soins de santé, les médecins, eux, ne sont peut-être pas pressés de voir leur salaire diminuer!
La vraie question, à mon avis, que soulève cet article du Devoir, est celle de la qualité du travail journalistique de Mme Mélissa Guillemette: est-ce qu'on doit se contenter de lire dans le journal un simple copié-collé d'un communiqué de presse émis par un groupe d'intérêt ou est-on en droit d'obtenir un minimum de mise en contexte?
2010