PAs faciles, les chiffres

Les subventions aux écoles privées

Le 17 février 2010, la chroniqueure Michèle Ouimet publiait un article où elle mentionnait que les écoles privées québécoises sont subventionnées à 60% des écoles publiques. Ce canular récurrent, que tout le monde répète sans jamais avoir vérifié l'information, est un autre symbole de l'ineptie de nos journalistes. Et même lorsqu'ils sont informés des faits, leur absence de réaction me porte à croire qu'il s se complaisent dans leur propre ignorance.

Voici ce que j'écrivais à madame Ouimet, le 17 février dernier... message qui est demeuré sans réponse!

* * * * *

[...]

Je me permets de vous signaler qu'il est inexact d'écrire que le ministère subventionne les écoles privées à 60%.

En ce qui concerne les sommes versées par élève, que ce soit aux commissions scolaires ou aux écoles privées, le ministère se réfère à trois barèmes en fonction des particularités des élèves. À titre d'exemple, pour l'enseignement secondaire une commission scolaire reçoit:

  • 1603 $ par élève régulier

  • 4005 $ par élève handicapé léger

  • 6675 $ par élève handicapé lourd

(voir Règles budgétaires 2008-2009, p. 12)

Une fois tous les ajustements faits, notamment pour tenir compte des situations particulières de chaque commission scolaire (dispersion de la clientèle, ancienneté du corps enseignant, ...) les montants moyens par enfant qui sont alloués par le ministère aux Commissions scolaires sont:

  • 4158 $ par élève régulier

  • 9257 $ par élève handicapé léger

  • 14407 $ par élève handicapé lourd

(voir Règles budgétaires 2008-2009, pp. 153-154)

Dans une école régulière publique, qui reçoit une clientèle non choisie, le total de la subvention reçue divisée par le nombre d'élèves donnera nécessairement un montant supérieur à l'allocation de base pour enfant régulier. Les écoles privées, qui choisissent leur clientèle, ne reçoivent, elles, que l'allocation de base pour enfant régulier qui est de 3957$ pour l'enseignement secondaire. En comparant les sommes reçues par une école privée et une école publique, toutes deux accueillant le même nombre d'élèves, on verra que les sommes reçues par l'école publique sont supérieures ... mais elles sont supérieures uniquement parce que ces écoles doivent accueillir une clientèle aux besoins particuliers. En fait, pour chaque élève "régulier", l'école privée reçoit 95% de ce que reçoit l'école publique.

(voir Règles budgétaires 2009-2010 pour l'enseignement privé, p. 10).

Lorsqu'on dit que les écoles privées reçoivent 60% de la subvention accordée aux écoles publiques, on compare en fait des pommes et des oranges, puisqu'on gonfle le montant de la subvention aux écoles publiques en y ajoutant des montants réservés aux élèves en difficultés ... élèves que le privé prend généralement bien soin de ne pas choisir.

En espérant que ces précisions vous soient utiles, je vous prie d'agréer, Madame Ouimet, mes salutations les meilleures.

Fraude à l'aide sociale ou fraude au lecteur?

Aujourd'hui, la Presse publie un article au titre grandiloquent: «La fraude à l'aide sociale frôle le milliard». Sauf que la véritable fraude, à mon avis, est beaucoup plus dans le titre, dans les informations parcellaires données par le journaliste et dans les informations que le journaliste ne s'est pas donné la peine d'obtenir.

Régulièrement, nos médias se font un devoir d'inciter leur public à la haine envers les prestataires d'aide de dernier recours.

Voici une copie du courriel que j'ai fait parvenir à M. Denis Lessard.

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Monsieur Lessard,

Je viens de lire votre article d'aujourd'hui et j'en suis scandalisé! Entre le titre accrocheur et vulgaire (dont j'imagine que vous n'êtes pas responsable) et les chiffres qui s'alignent plus loin, il y a une énorme différence. En outre, vous ne faites pas les rapprochements qui permettraient au lecteur de prendre pleinement l'ampleur de la fraude à l'aide sociale.

Votre article annonce: fraude de 1 milliard !!!

Mais la réalité, c'est que la fraude est de 800 millions sur 10 ans! On passe soudainement de 1 milliard à 80 millions par an!!!

Vous écrivez que 'État verse en aide de dernier recours près de 240 millions par mois. Ainsi, la fraude ne représente que 2,7% des montants versés (80 millions par mois par rapport à 240 millions par année). Quel est le pourcentage de "fraude" à La Presse? ou dans un dépanneur? ou dans une station-service? ou dans n'importe quelle autre industrie? Vous auriez pu faire un vrai travail journalistique et nous informer du pourcentage de fraude à l'impôt. Il aurait aussi été intéressant de savoir combien coûtent les "contrôles de conformité" et mettre ces sommes en relation avec les montants récupérés. Quand on estime que les fraudes dans l'industrie de la construction représente entre 10% et 20% des montants des contrats, il n'y a pas de quoi écrire sur un maigre 2%, quasiment impossible à juguler.

Quand on connaît les montants scandaleusement bas de l'aide de dernier recours, il est indécent d'inciter le lecteur à s'indigner de fraudes si mineures en ne rapportant, comme vous le faites, que des bribes d'information. Réalisez-vous qu'on parle ici de fraudes qui sont équivalentes à 18 dollars par prestataire par mois?

Mais vu comme ça, j'imagine il n'y a pas de quoi faire un grand titre! Sauf qu'il y a matière à faire un vrai article!

Meilleures salutations,

2010