Accès à la justice

L'Accès à la justice par la fiscalité

C’est presque un leitmotiv que de parler d’accès à la justice. Mais ce ne peut être qu’un credo qu’on répète, ce doit être la pierre d’assise fondamentale de tout notre système démocratique, le fondement même de notre société et de notre vivre ensemble.

Nous avons choisi que nos rapports entre nous ainsi qu’avec les autorités seront placés sous la règle de droit, que des juges indépendants des pouvoirs en place auront l’autorité de trancher les litiges qui leur seront soumis. Pour que ce système fonctionne, il faut que tous aient accès à la justice.

Mais, en ce domaine, rarement l’occasion nous est donnée de dépasser le stade des constats pour poser des gestes concrets. La réforme de la procédure civile en 1965 et l’introduction du révolutionnaire article 2, qui a fait primer le fond sur la forme, et l’adoption en juin dernier du projet de loi 9 [Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics, L.Q., 2009, c. 12], constituent des exemples éloquents de ce qui a pu être fait au niveau de la procédure pour améliorer l’accès à la justice. La création de la division des petites créances de la Cour du Québec n’a pas été la moindre de ces initiatives. Et que dire que de la mise sur pied de l’Aide juridique!

De nombreux développements ont aussi eu lieu dans le domaine de l’éducation juridique. De la Fondation du Barreau à Éducaloi jusqu’à la nouvelle série télévisée Le Droit de Savoir, nos concitoyens sont beaucoup mieux outillés maintenant qu’ils ne l’étaient il y a 25 ans pour connaître leurs droits.

Les offres directes de services aux citoyens se sont aussi enrichies, qu’on pense seulement aux différentes cliniques juridiques, à Pro Bono ou à l’assurance juridique, pour n’en nommer que quelques uns.

Un domaine qui reste encore à explorer pour améliorer l’accès à la justice, est la fiscalité des services juridiques. Parmi les facteurs qui sont mentionnés comme freinant l’accès à la justice, les coûts arrivent souvent en tête de liste. Paradoxalement, les taux horaires des avocats diminuent depuis 10 ans [Kelly Harris, « The Going Rate », Canadian Lawyer, juin 2009, p. 33 ], mais nous sommes encore perçus comme étant trop chers. Paradoxalement, nos concitoyens n’hésitent pas à payer 80 dollars de l’heure pour faire réparer une transmission, mais rechignent à en débourser 125 pour défendre leurs droits fondamentaux!

Néanmoins, je suis troublé par l’apparence d’iniquité d’un système qui permet aux entreprises, aux organismes publics et aux travailleurs autonomes de déduire les frais juridiques de leur revenu imposable et qui, par le biais de compensation, les exonère en quelque sorte du paiement des taxes de ventes sur ces mêmes services. La très grande majorité des citoyens, quant à eux, ne peuvent bénéficier de ces mesures même lorsqu’ils se trouvent dans l’obligation de défendre leurs droits fondamentaux.

Les livre et plusieurs biens alimentaires de base, de même que les services de santé et d’enseignement, sont actuellement détaxés. Par ailleurs, le premier ministre a soutenu l’idée que la TVQ ne s'applique plus sur les CD, DVD, billets de spectacles, de cinéma ou de musée, ainsi qu'aux oeuvres d'art. La TVQ est une importante source de revenu [En 2008, les revenus tirés de la TVQ (10 milliards) ont représenté 15% de l’ensemble des revenus de la province], mais l’industrie des services juridiques n’y contribue que dans une proportion infime. Surtout, seuls les citoyens « ordinaires » sont mis à contribution à ce chapitre.

octobre 2009

PAs assez pauvre ...

Nous avons l’immense privilège de vivre dans l’un des meilleurs pays au monde (selon les Nations Unies ...et Jean Chrétien), où la qualité de vie est supérieure à celle de nombreux autres que nous avons l’habitude d’envier [Par exemple : Suède, Suisse, Pays-Bas, Finlande, Danemark, Luxembourg]. Dans un tel pays, il n’est pas normal que chacun ne puisse avoir accès à un avocat lorsque sont en jeux ses droits fondamentaux dans des matières qui mettent directement en cause son honneur, sa liberté ou ses biens.

L’aide juridique au Québec c’est 138 millions de dollars, 20% du budget du ministère de la Justice mais seulement 0,2% de l’ensemble des dépenses de la province. Ça représente 17$ par habitant, moins que la moyenne canadienne et loin des 25$ par habitant qu’y consacre l’Ontario. En dollars constants, les contributions d’Ottawa et de Québec diminuent depuis cinq ans, alors que les contributions de l’ensemble des provinces et territoires canadiens à leur système d’aide juridique ont augmenté [Centre canadien de la statistique juridique, L’aide juridique au Canada : statistiques sur les ressources et le nombre de cas, 2006-2007, Statistique Canada]. Les contributions des bénéficiaires québécois, elles, par contre ont augmenté et sont maintenant à près de deux millions de dollars!

L’aide juridique au Québec c’est 215 000 demandes approuvées qui sont traitées par 2 400 avocats de pratique privée et 317 avocats salariés. Une demande coûte en moyenne 600$. L’aide juridique au Québec, non seulement est économique, elle a réussit en plus à se constituer une réserve de plus de quinze millions de dollars [Commission des services juridiques, 35e Rapport annuel de gestion 2006-2007, Montréal, 2007, p. 71].

Le problème c’est que notre système d’aide juridique, en l’état actuel, est insuffisant pour couvrir les besoins de l’ensemble de ceux dont les droits fondamentaux sont atteints. En septembre 2008, le Québec comptait 477000 prestataires de programmes d’aide financière de dernier recours, qui constituent l’essentiel de la clientèle admissible à l’aide juridique. Mais la province compte plus de 900 000 personnes "officiellement pauvres", c’est-à-dire qui disposent de moins de 50 % du revenu moyen des Québécois (selon la définitions de l'ISQ). Pour une personne seule, c’est 15 000 dollars (moins de 300 dollars par semaine), alors que pour un couple avec deux enfants, c’est 31 000 dollars … avant impôts!

Il y a donc plus de 400 000 personnes qui sont malgré tout trop riches pour bénéficier de l’aide juridique, même dans son volet contributif. À 31 000 dollars de revenus, notre famille pauvre devrait donc défrayer elle-même tous les coûts de ses services juridiques. Sans oublier non plus ceux qui ne sont pas (encore) officiellement pauvres, mais pour qui il serait impossible de payer les services d’un avocat, même si leurs intérêts vitaux étaient en jeu.

Le Barreau du Québec et ses membres ont développé de nombreuses initiatives d’accès à la justice, que ce soit la vulgarisation, les services de consultation gratuite, la promotion de modes alternatifs de règlement des différends, l’assurance protection juridique, Pro Bono Québec, etc. Je suis néanmoins d’avis qu’il nous faille aller encore plus loin et revisiter la question du droit constitutionnel à l'avocat qui devrait aller au-delà du droit criminel. Il nous faut aussi sérieusement travailler à l’augmentation des seuils d’accessibilité à l’aide juridique, qui sont honteusement bas pour une société aussi riche que la nôtre et qui ont pour effet de maintenir des gens à faibles revenus dans une précarité dégradante.

Je suis convaincu qu’une approche holistique de la question permettrait d’identifier que les dépenses effectuées au titre de l’aide juridique sont en fait des investissements : une personne qui peut contester son congédiement ou son éviction évitera peut-être de tomber en situation d’itinérance. Les coûts supplémentaires générés par la représentation solo sont sans doute plus élevés que les sommes économisées au titre de l’aide juridique.

Dans le très grand livre comptable, certaines dépenses en matière de justice, de santé et d’éducation devraient sans doute être comptabilisées dans la colonne des revenus.

2009